Parfois, je pense que l’univers est juste une lueur. La lueur d’une cigarette dans le noir. Toutes les étoiles, les planètes, les galaxies, les marges infinies. Tout cela est contenu dans le petit bout rouge d’une cigarette dans la main d’un homme qui, appuyé contre un mur pour suivre des yeux une fille qui rentre chez elle, sait déjà qu’elle n’arrivera jamais jusque là.
Reçu en cadeau de départ par une personne de bon goût, Betty est la lecture qui m’a redonné envie de lire. Il faut dire que depuis quelque temps je ne lis plus beaucoup, sauf de gros fascicules sur la dramaturgie que je feuillette en me rêvant autrice publiée. Cette année, j’ai eu l’impression que lire me demandait trop de concentration ou était une chose qu’il fallait absolument que je fasse. Une obligation morale. Autant dire que j’ai subi depuis 2021 une panne sèche et que je ne reconnais plus en mois la petite fille de douze ans qui engloutissait les livres et superposaient parfois deux ou trois lectures. Maintenant, je sirote mes romans, page par page, je fais des pauses, j’ai du mal à m’y remettre mais quand je m’y remets c’est un plaisir, un bonheur, du jus d’orange de bon matin. Cet été, je voudrais renouer avec celle que j’étais et lire plus alors, forcément, il faut que je vous parle de Betty.
Écrit par Tiffany McDaniel dont c’est le second roman (le premier, L’Été où tout a fondu, étant encore à paraître en France également aux éditions Gallmeister), Betty sort au cours de l’été 2020. Résolument féministe, c’est un roman dont je pense pouvoir dire sans me méprendre qu’il s’agit d’un de ces classiques immédiats de la littérature. Par son thème et la justesse de ses mots, Betty offre une représentation crue et honnête de l’histoire des Etats-Unis où un racisme franc et une brutalité légale ont si longtemps régnés. Pour celles et ceux qui en ignoreraient le résumé, le voici :
“Ce livre est à la fois une danse, un chant et un éclat de lune, mais par-dessus tout, l’histoire qu’il raconte est, et restera à jamais, celle de la Petite Indienne.”
La Petite Indienne, c’est Betty Carpenter, sixième de huit enfants. Parce que sa mère est blanche et son père cherokee, sa famille vit en marge de la société. Avec ses frères et sœurs, Betty grandit bercée par la magie immémoriale des histoires de son père, au cœur des paysages paisibles de l’Ohio. Mais les plus noirs secrets de la famille se dévoilent peu à peu. Pour affronter le monde des adultes, Betty découvrira le pouvoir réparateur des mots.
On ne peut pas réellement se préparer à la violence de cette histoire narrée à la première personne par son personnage éponyme. Betty est d’abord une enfant, une toute petite qui pose sur le monde un regard empli d’admiration. Au fil des pages elle grandit et découvre la violence gratuite que l’on réserve aux personnes qui, comme elle, ont la peau et les cheveux trop foncés pour être acceptés. Alors, en se raccrochant à ses espoirs et aux histoires de son père, Betty s’endurcit.
L’authenticité de ce roman provient des inspirations de son autrice qui dit avoir puisé dans la vie des femmes de sa famille, à la fois terriblement fortes et victimes de leur propre sexe. Par certains moments, Betty est glaçant, mais face à l’enchaînement de malheurs, je n’ai jamais eu l’impression de lire un récit totalement fictif ou dans la surenchère. On ressent la substance du réel sous les mots. Par contre, j’ai fréquemment dû me rappeler que l’histoire ne se déroulait pas au XIXe siècle mais bien dans les années 1960-1970. C’était une leçon, un rappel de mes privilèges. Je ne me suis jamais sentie menacée à cause de mes origines et, bêtement, j’ai souvent l’impression que les questions d’injustices comme celles soulevées dans Betty sont lointaines, qu’elles existaient il y a des siècles mais ont disparu depuis longtemps et qu’elles ne se trouvent désormais plus que dans les livres d’Histoire et les flux Twitter. Or, 1960, 1970, ce n’est vraiment pas si loin que ça et, si j’ouvre un peu mieux les yeux, je dois admettre que je vois tout ce que j’essaye de repousser.
C’est ça le problème avec vous, les enfants. Un jour vous êtes tellement petits que vous pourriez partir dans le siphon avec l’eau du bain, et l’instant d’après j’ai du mal à me souvenir que vous avez été aussi petits.
Si cette idée de remise en question vous fait peur, sachez que la vie de Betty ce n’est pas que ça. Le livre est rempli d’une mythologie familiale est immense et se déploie au cours des chapitres. La petite Betty est pleine de rêves insufflés par un père magnifique et d’amour pour ses jeunes frères et ses deux sœurs. Bien que le roman soit nourris de grandes descriptions et des fables surréalistes du père de Betty, je ne l’ai jamais trouvé lourd. J’ai été happée par ma lecture et, malgré le pavé que j’avais entre les mains (quelque 600 pages), je ne me suis pas sentie intimidée une seule fois. C’est un roman qui est à la fois dur et tendre, c’est l’épopée d’une vie d’exilé de la société, la lettre d’amour d’une fille à son père, le cri de douleur d’une femme dans un monde d’homme, la croissance d’une enfant au cœur de la nature, les pleurs d’une petite sœur…
Honnêtement, j’aimerais que tout le monde le lise. Je serais même prête à envoyer ce gros volume d’un bout à l’autre de la France si c’est tout ce qu’il faut pour vous en convaincre. Cela dit, je sais qu’il faut un peu d’énergie pour vivre les lectures comme celle-ci. Alors, j’espère que l’idée de cette lecture fera son bout de chemin et qu’un jour, lorsque vous en aurez l’envie, vous vous perdrez dans l’enfance de la petite Betty.
Il y a des hommes qui connaissent le montant exact de leur compte en banque, a poursuivi Maman. Il y a ceux qui savent combien de kilomètres indique le compteur de leur voiture et combien elle pourra encore parcourir. D’autres connaissent le score à la batte de leur joueur de base-ball préféré et ils sont plus nombreux encore à savoir la somme exacte que l’Oncle Sam leur a soutirée. Ton père, lui ne connaît rien de tout ça. Les seuls nombres que Landon Carpenter a en tête, c’est le nombre d’étoiles qu’il y avait dans le ciel la nuit où ses enfants sont nés. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais moi je dirais qu’un homme qui a dans la tête des cieux remplis des étoiles de ses enfants est un homme qui mérite leur amour. En particulier l’amour de celle qui avait le plus d’étoiles.

Quelqu’un a dû penser comme vous et le laisser dans la boîte à livres pour que je le lise. Les choses ont changé… Pas sûr… On assiste à un retour inquiétant d’un racisme ambiant, plus diffus. Voire bavures, chiffres des dépression, suicides et population carcérale…
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C’est un signe que le livre vous attendez peut-être ! Oui, et c’est une claque parfois en regardant les dernières nouvelles de tomber sur des actes aussi similaires à ceux du passé. On évolue à pas de fourmis et je pense que des auteurs comme Tiffany McDaniel font des choses formidables en faisant passer cette parole dure à travers leurs oeuvres.
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Un livre à mettre entre toutes les mains, je n’aurais pas dit mieux !
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Merci beaucoup d’avoir pris le temps de me lire !
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Avec plaisir !
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